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TA TOULOUSE 6 mars 2018 - Carence de l'Etat protection de l'ours brun

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Tribunal Administratif
Autre (Chambre mixte, SSR, etc.)
06/03/2018
1501887 et 1502320
Code de l'environnement - Arrêté du 23 avril 2007
Protection Ours Brun Sauvegarde Carence Responsabilité de l'Etat
1. Considérant que les associations Pays de l’ours - ADET (association pour le
développement durable des Pyrénées), d’une part, et FERUS - Ours, loup, lynx, conservation, d’autre part, ont notamment pour objet de favoriser la restauration et le renforcement de la population d’ours bruns (ursus arctos) dans le massif des Pyrénées ; que, par leurs requêtes susvisées, elles demandent la condamnation de l’Etat à leur réparer le préjudice moral qu’elles estiment avoir subi en raison de la carence des autorités françaises dans leur obligation de rétablir la population d’ours bruns dans un état de conservation favorable ;
Sur la jonction :
2. Considérant que les requêtes n° 1501887 et n° 1502320 formées par les deux
associations susmentionnées présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un même jugement ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la directive du 21 mai 1992 : « Aux
fins de la présente directive, on entend par : / (…) / i) état de conservation d'une espèce : l'effet de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations sur le territoire visé à l'article 2. / "L'état de conservation" sera considéré comme "favorable", lorsque : / - les données relatives à la dynamique de la population de l'espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient et / - l'aire de répartition naturelle de l'espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible et / - il existe et il continuera probablement d'exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ; / (…) » ; qu’aux termes de l’article 2 de la même directive : « 1. La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s'applique.
/ 2. Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire. / 3. Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. » qu’aux termes de l’article 12 de ladite directive :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; /c) la destruction ou le ramassage intentionnels des oeufs dans la nature ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ; / 2. Pour ces espèces, les États membres interdisent la détention, le transport, le commerce ou l'échange et l'offre aux fins de vente ou d'échange de spécimens prélevés dans la nature, à l'exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de la présente directive. / (…) » ; qu’aux termes de l’article 22 de cette même directive : « Dans la mise en application des dispositions de la présente directive, les États membres : / a) étudient l'opportunité de réintroduire des espèces de l'annexe IV, indigènes à leur territoire, lorsque cette mesure est susceptible de contribuer à leur conservation, à condition qu'il soit établi par une enquête, tenant également compte des expériences des autres États membres ou d'autres parties concernées, qu'une telle réintroduction contribue de manière efficace à rétablir ces espèces dans un état de conservation favorable et n'ait lieu qu'après consultation appropriée du public concerné ; / (…) » ; que l’annexe IV de ladite directive classe notamment l’espèce « ursus arctos » parmi les espèces animales et végétales d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection particulière ;
4. Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article 2 de l’arrêté du 23 avril 2007
qui a abrogé et remplacé l’arrêté du 17 avril 1981 : « Pour les espèces de mammifères dont la liste est fixée ci-après : / I. - Sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel. / II. - Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente, ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s'appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l'espèce considérée, aussi longtemps qu'ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l'altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. / III. - Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l'achat, l'utilisation commerciale ou non, des spécimens de mammifères prélevés dans le milieu naturel (…) » ; que l’espèce « ours brun (ursus arctos) » figure notamment au nombre de celles classées dans la liste à laquelle il est ainsi renvoyé ;
5. Considérant que l’ours brun ne subsiste en France que dans le seul massif des
Pyrénées ; que la population ursine a connu un fort déclin à partir de la fin du XIXème siècle, passant de 150 animaux à environ 70 dans les années 1950, pour atteindre un effectif minimum de 7 ou 8 individus, concentrés dans les Pyrénées occidentales, dans les années 1980 ; que les autorités françaises ont classé l’ours brun dans la liste des espèces animales protégées à compter de 1981 et ont mis en place le système de protection stricte exigé par l’article 12 de la directive du 21 mai 1992, aujourd’hui fondé sur les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement et sur celles, citées au point 4, de l’arrêté du 23 avril 2007 ; que trois ours ont été réintroduits dans les Pyrénées en 1996, permettant de revenir en 2005 à un effectif de 14 ou 15 individus, répartis en trois noyaux géographiques ; que les pouvoirs publics ont mis en place un « plan de restauration et de conservation de l’ours brun », couvrant la période 2006/2009, dans le cadre duquel ont été introduits cinq ours supplémentaires en 2006 ; que les associations requérantes reprochent à l’Etat de manquer à l’obligation qui lui incombe, en application de l’article 2 de la directive susvisée, de rétablir l’ours brun dans un état de conservation favorable, notamment par leur refus de procéder à tout nouveau lâcher d’ours depuis 2006 ;
6. Considérant qu’il est constant que, nonobstant le régime de protection institué en 1981 et les réintroductions effectuées en 1996 et 2006, l’état de conservation de l’espèce ursine n’a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l’article 1er de la directive du 21 mai 1992 ; qu’il ressort ainsi des différents études produites au dossier que les effectifs d’ours bruns détectés dans la chaine pyrénéenne se sont élevés à 19 en 2011, 22 en 2012, 25 en 2013, 31 en 2014 et 29 en 2015 ; que si le noyau des Pyrénées centrales abrite 27 animaux, l’espèce a disparu des Pyrénées orientales depuis 2011 et le noyau des Pyrénées occidentales ne comporte plus que 2 mâles depuis 2007, si bien que la pérennité de cette zone se trouve menacée à court terme ; qu’alors que la commission des pétitions du Parlement européen avait déjà saisi la France, le 13 octobre 2011, sur la situation critique de sa population ursine, la Commission européenne a également adressé au Gouvernement, le 21 novembre 2012, une mise en demeure aux termes de laquelle elle a relevé l’état de conservation défavorable de l’espèce et estimé insuffisantes les mesures prises ou envisagées par les autorités nationales ; qu’il ressort, par ailleurs, du rapport d’évaluation établi le 26 septembre 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle à la demande du Gouvernement que, malgré l’évolution positive des effectifs et de l’aire de répartition et malgré la stabilité de l’habitat de l’espèce, les perspectives futures restent défavorables, dès lors notamment que les effectifs et l’aire de répartition demeurent inférieurs aux valeurs de référence ; que la population ursine apparaît, par conséquent, soumise à un risque démographique significatif, au regard de son effectif global insuffisant pour garantir la viabilité de l’espèce à long terme, mais aussi à un risque génétique très élevé, compte tenu de la fréquence des reproductions entre consanguins ; que, sur la base de ces constats, le rapport du Muséum national d’histoire naturelle préconise de mettre en oeuvre, soit un premier scénario consistant à renforcer, en urgence, le noyau occidental en y introduisant 13 ours sur 4 années, soit un second scénario, plus favorable, portant sur le renforcement concomitant des deux noyaux en complétant la mesure précédente par le lâcher de 4 ours dans le noyau central ; que le même rapport estime qu’il y a lieu de prévoir, en tout état de cause et a minima, l’introduction rapide de 6 nouveaux spécimens, répartis en 4 dans la zone occidentale et 2 dans la zone centrale ; que l’ours brun est, en outre, classé en « danger critique d’extinction » sur la « liste rouge des espèces menacées » établie par le comité français de l’Union internationale pour la protection de la nature, lequel a également recommandé, le 27 juin 2011, le lâcher urgent d’au moins une ourse ;
7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que, si le secrétaire d’Etat à l’écologie
avait annoncé le 26 juillet 2010 qu’il serait procédé au remplacement systématique des ours décédés accidentellement et notamment de l’ourse tuée en 2007 dans le noyau occidental, le ministre de l’environnement a néanmoins opposé, le 1er juin 2011, un refus à la réintroduction ainsi prévue, en raison de l’opposition de certains acteurs locaux et dans l’attente des résultats de la démarche relative à la mise en place d’une « stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité » ; que si certaines actions du plan de restauration et de conservation de l’ours brun ont été reconduites depuis son arrivée à échéance en 2009, les pouvoirs publics n’avaient toutefois pas redéfini de plan d’actions global, avant de lancer, le 18 décembre 2013, l’élaboration du « volet ours » de la « stratégie pyrénéenne » susmentionnée ; qu’il n’apparaît d’ailleurs pas que la finalisation de cette démarche, initialement annoncée en 2012, puis repoussée en 2014, soit intervenue à ce jour, alors que le comité de massif des Pyrénées s’est réuni le 1er juillet 2016, sans dégager de majorité, et qu’un projet de « volet ours 2017/2027 » a été soumis à consultation publique en février/mars 2017 ; que si ledit projet comporte un objectif visant à maintenir l’espèce ursine, à travers la constitution d’une population d’une cinquantaine d’individus, il prévoit de s’appuyer en priorité, à cette fin, sur la capacité de l’espèce à croître par elle-même et n’envisage de procéder à de nouvelles introductions que « dans la mesure où elles seront nécessaires au maintien d’une dynamique favorable de la population » ;
8. Considérant que, pour expliquer l’absence de réintroductions d’ours depuis 2006, le ministre de l’environnement souligne, d’une part, que les mesures de protection et de renforcement prises depuis les années 1980 ont permis d’obtenir une croissance de la population de l’espèce, laquelle se caractérise par sa relative jeunesse, dès lors que 81 % des ours ont moins de 9 ans et que les deux dernières années ont vu naître 6 oursons ; que s’il résulte en effet des données rappelées au point 6 que la tendance démographique est globalement positive, nonobstant une légère baisse en 2015, il n’est cependant pas contesté que l’effectif actuel reste insuffisant pour assurer la pérennité de l’espèce et que l’existence même du noyau occidental est menacée à court terme ; que le ministre de l’environnement fait valoir, d’autre part, l’importance des oppositions locales à la réintroduction des ours, au regard notamment des difficultés posées par leur coexistence avec les activités d’élevage ; que si les tensions ainsi rencontrées nécessitent effectivement l’organisation d’une concertation avec le public concerné, ainsi que le prévoit d’ailleurs l’article 22 de la directive du 21 mai 1992, elles ne sauraient toutefois suffire à justifier, en l’espèce, les huit années de retard constatées dans la définition du nouveau plan d’actions relatif à la conservation de l’ours ; qu’il n’est au demeurant pas établi que les oppositions locales feraient obstacle à toute opération de réintroduction efficace depuis 2006, alors qu’il apparaît que les dégâts imputés aux ours sur les troupeaux et les ruches restent relativement mesurés et que l’Etat a pris des mesures adaptées en faveur du pastoralisme, parmi lesquelles figure notamment l’indemnisation systématique des pertes d’animaux ;
9. Considérant que, compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, les
actions mises en oeuvre par l’Etat ne peuvent pas être regardées comme suffisantes au regard des enjeux identifiés pour le maintien durable de l’espèce ursine dans le massif pyrénéen ; que les associations requérantes sont, par suite, fondées à soutenir que la France ne satisfait pas à son obligation de rétablissement de l’ours brun dans un état de conservation favorable, telle qu’elle résulte de l’article 2 de la directive du 21 mai 1992 ; que la carence des autorités nationales face à cette obligation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
10. Considérant, par ailleurs, que, comme le rappellent les associations requérantes, plusieurs décisions de justice rendues sur la période considérée ont annulé des arrêtés préfectoraux pour insuffisance des mesures de protection des ours, notamment l’arrêt n° 12BX00391 de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 avril 2014 et le jugement n° 1201756 du tribunal administratif de Pau du 28 janvier 2014 ; que les illégalités ainsi invoquées constituent également des fautes de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
En ce qui concerne les préjudices :
11. Considérant que l’association Pays de l’ours a notamment pour objet, selon ses statuts, « la préservation et la restauration du patrimoine naturel des Pyrénées, en particulier la restauration d’une population viable d’ours bruns » ; que l’association FERUS s’est, pour sa part, fixée pour objet « d’articuler et de coordonner toutes actions de recherche, de sensibilisation et d’éducation liées à la présence et à la réhabilitation du loup, de l’ours et du lynx » et, en particulier, « de favoriser le maintien et le renforcement des populations d’ours » ; que l’association FERUS a, par ailleurs, été agréée pour la protection de l’environnement au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement par un arrêté renouvelé le 10 janvier 2014 ; que les deux associations requérantes, respectivement créées en 1991 et 1993, sont investies de longue date et de manière très active dans la préservation de la population ursine pyrénéenne ; que leurs rapports d’activité annuels établissent l’importance des actions menées, consistant notamment dans l’organisation de colloques, expositions ou autres manifestations, l’édition de supports d’information et de communication ou la conduite d’actions de terrain, notamment pour favoriser la coexistence entre l’espèce ursine et les activités humaines ; que les deux associations se sont impliquées dans les opérations de réintroduction des ours en 1996 et 2006 et ont présenté, à plusieurs reprises depuis lors, de nouvelles demandes d’autorisation à cette même fin ; qu’ainsi, eu égard à leur objet, à leur ancienneté, à leur niveau d’expertise et à l’importance des actions menées, les fautes commises par l’Etat ont porté atteinte aux intérêts collectifs que défendent ces deux associations et leur ont causé un préjudice moral certain, direct et personnel, dont elles sont fondées à demander réparation ; qu’il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en
accordant à chacune d’entre elles une indemnité d’un montant de 8 000 euros ;
Sur les frais liés au litige :
12. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens
ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des
frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation
économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes
considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
13. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat, sur le fondement de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement d’une somme de 750 euros à
payer à l’association Pays de l’ours et d’une somme de même montant à payer à l’association
FERUS au titre des frais exposés par ces dernières et non compris dans les dépens ;
http://toulouse.tribunal-administratif.fr/content/download/130383/1321957/version/1/file/1501887%20ours.pdf

Fiche créée le 30/03/2018 par C Ceriseducos   vue 8 fois.