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Tribunal Administratif de Nancy 12 octobre 2017

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Tribunal Administratif
12/10/2017
1702570
article L. 411-1 du code de l’environnement
Abattage des loups, Référé
TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE NANCY


N°1702570 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
___________
GROUPEMENT D'ÉTUDES DES MAMMIFÈRES AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE LORRAINE
___________
M. Didier Marti
Juge des référés Le juge des référés
___________
Ordonnance du 12 octobre 2017
___________
54-035-02
C




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 octobre 2017, le groupement d'études des mammifères de Lorraine, représenté par Me Riou, demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet des Vosges du 2 août 2017 autorisant la réalisation de tirs de défense renforcée en vue de la protection du troupeau de M. X contre la prédation du loup, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;


2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 2 000 euros en application de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative. Le groupement soutient :
- en ce qui concerne l’urgence : que le risque d’abattage du seul loup présent dans la plaine des Vosges est réel et caractérisé, les effets d’un tir de défense renforcée étant les mêmes que ceux d’un tir de prélèvement ; que les conditions dans lesquelles ces tirs sont autorisés sont critiquables ; que les troupeaux de M. X ne sont pas suffisamment protégés, comme le montrent les photographies produites ; que le préfet ne démontre pas le contraire ; qu’il est gravement porté atteinte aux intérêts défendus par le groupement ;

- en ce qui concerne le doute sérieux : que l’arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions de la directive « Habitats », des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement et de l’arrêté du 30 juin 2015 ; que la seule installation d’une clôture électrique est insuffisante, sans d’autres mesures, et ne peut constituer une mesure de protection équivalente à celles pouvant être mises en œuvre en application de l’arrêté du 19 juin 2009 ; des mesures d’effarouchement, comme le prévoit l’arrêté ministériel du 15 mai 2015, auraient pu

N° 1702570 2 être mises en place ; il n’est pas établi qu’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante ; que l’arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des objectifs de l’article 16 de la directive

« Habitats », transposé au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui fixe trois conditions pour justifier de déroger à l’interdiction de détruire le loup ; que les mesures de destruction doivent être nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi de prévention des dommages ; que les tirs de prélèvement ne doivent pas compromettre l’état de conservation favorable de l’espèce protégée, or l’ensemble des mesures prises au niveau national autorisent la destruction potentielle de 40 loups.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2017, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.

Il soutient :
- que la condition d’urgence n’est pas remplie : les tirs de défense renforcée ne doivent pas être confondus avec les tirs de prélèvement, qui portent sur une zone beaucoup plus vaste ; la première autorisation accordée à M. X le 1er décembre 2016 n’a pas été contestée par le groupement requérant, qui agit en outre plus d’un mois après l’entrée en vigueur de l’arrêté attaqué ; la destruction du seul loup présent actuellement sur les secteurs concernés ne signifierait pas la fin de la présence de l’espèce au niveau local, une meute ayant été identifiée dans le massif vosgien et une recolonisation étant toujours possible ; que la population de loups est estimée à 300 en France ; qu’il convient de mettre en balance les intérêts en présence et que l’arrêté vise à ménager un juste équilibre entre la préservation d’une espèce protégée et le maintien des élevages ; que le département des Vosges est fortement impacté par la prédation du loup et que l’indemnisation des éleveurs a représenté un coût total de 61 000 euros en 2016, en forte progression ; que l’individu visé a un comportement atypique causant des dommages importants ; que l’importance de ces prédations génère une grande détresse chez les éleveurs du secteur ;

- qu’il n’existe pas de moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté : que les dispositions de l’arrêté du 30 juin 2015 ont été respectées, compte tenu du mode d’élevage en pâturage dans lequel s’inscrit l’exploitation de M. X ; que la création de parcs en dur avec électrification n’est que rarement possible ; que depuis le 1er décembre 2016, les troupeaux de M. X ont subi deux nouvelles attaques, qui ont fait 18 victimes, malgré les tirs de défense simple autorisés, qui ont été effectifs ; que la mise en place de mesures de protection, notamment de surveillance renforcée par gardiennage de l’éleveur et des parcs électrifiés conformes aux préconisations du plan loup, a bien été vérifiée sur place.


Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée le 2 octobre 2017 sous le n° 1702571, par laquelle le Groupement d'études des mammifères de Lorraine demande l’annulation de la décision attaquée.

Vu :
- la directive n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 ;
- le code de l’environnement ;
- l’arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ;
- l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l’arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;

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- l’arrêté interministériel du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 ;
- l’arrêté interministériel du 28 novembre 2016 portant dérogation, pour les départements des Vosges et de Meurthe-et-Moselle, à une disposition de l'arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 ;
- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Marti, vice-président, en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative pour statuer sur les demandes de référés.
.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 11 octobre 2017 à 10h30 :

- le rapport de M. Marti ;
- les observations de Me Riou, représentant le groupement requérant ;
- les observations de M. Pierrot, représentant le préfet des Vosges ;
- et les observations de M. X.




1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (…) » et qu'aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. (...) » ; qu’enfin aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (...) justifier de l’urgence de l’affaire. » ;

2. Considérant qu’aux termes du I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite « Habitats » :

« Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (…) d'espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (…) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (…) » ; que l'article L. 411-2 du même code dispose : « Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (…) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de

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la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; /
b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété » ;

3. Considérant que les articles R. 411-1 et R. 411-2 du même code renvoient à un arrêté conjoint des ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture le soin de fixer la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l’article L. 411-1 ; que le loup fait partie des mammifères terrestres protégés dont la liste est fixée par l’arrêté du 23 avril 2007 ; que l’article R. 411-13 du code dispose que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : « 1° Les modalités de présentation et la procédure d'instruction des demandes de dérogations (…) ; 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement » ;

4. Considérant qu’en application de ces dispositions, a été pris un arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup ; qu’aux termes de l’article 18 de cet arrêté : « I. - Les tirs de défense renforcée sont autorisés en unité d'action et ne peuvent être autorisés qu'en dehors du cœur des parcs nationaux et des réserves naturelles nationales

constituées pour des motifs incluant la conservation de la faune sauvage.
II. - Les tirs de défense renforcée peuvent intervenir dès lors que :1° Des mesures de protection ont été mises en œuvre ou le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé ; 2° Malgré la mise en place effective de ces mesures et le recours aux tirs de défense décrits à l'article 13, le troupeau se trouve dans l'une des situations suivantes : - il subit des dommages importants et récurrents d'une année à l'autre ; - il a subi depuis le 1er mai de l'année n - 1 des dommages exceptionnels ; - au moins trois attaques ont été constatées dans les douze mois précédant la demande de dérogation ; - le troupeau se situe sur une commune sur laquelle au moins trois attaques ont été constatées au cours des douze mois précédant la demande de dérogation ; - au moins trois attaques ont été constatées sur un ensemble de troupeaux voisins dans les douze mois précédant la demande de dérogation » et qu’aux termes de l’article 19 de cet arrêté : « I. - Le tir de défense renforcée est mis en œuvre sur les pâturages et les parcours mis en valeur par le bénéficiaire de la dérogation ainsi qu'à leur proximité immédiate (…) » ;

5. Considérant que, sur le fondement des dispositions précitées, le préfet des Vosges a, par arrêté du 2 août 2017, autorisé jusqu’au 30 juin 2018 la réalisation de tirs de défense renforcée en vue de la protection contre la prédation du loup des troupeaux de M. X , sur le territoire des communes de Aouze, Aroffe, Attignéville, Pleuvezain, Rainville et Soncourt ; que le groupement d’études des mammifères de Lorraine demande la suspension de l’exécution de cet arrêté ;

6. Considérant que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ; que l’urgence doit être appréciée objectivement et globalement, le cas échéant au terme d'un bilan

N° 1702570 5 des intérêts privés et publics en présence et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire à la date à laquelle le juge des référés se prononce ;


7. Considérant que les tirs de défense renforcée autorisés par l’arrêté attaqué ont pour objet d’assurer la défense des troupeaux contre la prédation du loup par la mise en œuvre de ces tirs dans une zone limitée aux pâturages utilisés par le bénéficiaire de la dérogation ainsi qu'à leur proximité immédiate ; qu’un arrêté en date du 1er décembre 2016, qui faisait suite à un premier arrêté du 28 octobre 2016 autorisant des tirs de défense simple, avait déjà autorisé des

tirs de défense renforcée jusqu’au 30 juin 2017 pour protéger les troupeaux de M. X , qui avaient subi deux attaques en 2016, faisant 7 victimes ; que deux nouvelles attaques ont eu lieu en avril et mai 2017, faisant 18 victimes ; qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l’arrêté litigieux a été adopté en vue de mettre fin aux dommages importants causés à plusieurs exploitations voisines par un seul spécimen de loup présent dans la plaine des Vosges ; que l’urgence devant s’apprécier globalement, comme il a été dit au point 6, il y a lieu de prendre en considération les circonstances que l’exercice professionnel et la vie privée de l’éleveur intéressé sont bouleversés par l’exposition permanente au risque d’attaques de loup, comme en témoignent les nombreuses attaques subies par ses troupeaux en 2016 et 2017 et que ces attaques entraînent une perturbation importante des activités pastorales dans le secteur où elles se produisent de façon récurrente, menaçant la pérennité de la filière ovine ; que ces intérêts privés et publics doivent être mis en balance avec les intérêts défendus par le groupement requérant ; qu’eu égard

à l’ensemble de ces circonstances, il n’est pas justifié d’une urgence autorisant le juge des référés

à suspendre l’exécution de l’arrêté litigieux ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en l’état de l’instruction, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté, la requête du groupement d’études des mammifères de Lorraine doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête du groupement d'études des mammifères de Lorraine est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au groupement d'études des mammifères de Lorraine, au ministre de la transition écologique et solidaire et à M. X .

Copie pour information sera adressée au préfet des Vosges.

Fait à Nancy, le 12 octobre 2017.

Le juge des référés,




D. Marti

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
http://nancy.tribunal-administratif.fr/content/download/114054/1150084/version/1/file/172570.pdf

Fiche créée le 07/12/2017 par Y Yasbaa   vue 9 fois.